À Cantillana, on s’affilie par la mère au culte de la Vierge Asunción ou de la Vierge Pastora. Et cette vie sociale matriarcale donne forme à deux clans qui s’organisent avec ferveur autour de processions exceptionnelles. Depuis toujours, cet art réunit les clans. Les femmes le pratique seule ou en groupe, dans leurs salons, sur leurs balcons, le soir devant la porte de leurs maisons ou une fois la nuit tombée sur une des places du village, au rythme de conversations joyeuses et agitées.
Aujourd’hui, il continue à être transmis, de mère en fille. Pour la plupart des femmes, c’est un loisir, une pratique en marge, souvent réservée aux longues soirées d’été ou pendant les périodes des fêtes. Pour les gitanes, c’est un complément de revenu à tout âge. Autrefois pilier de l’économie locale, seule une partie de la production d’enrejado des châles continue à être faite au village avec les artisanes. Cette activité artisanale est la plus caractéristique de Cantillana. Les femmes la pratiquant permettent, à toute l’Andalousie et au-delà, de poursuivre cette tradition en portant un châle à l’occasion des ferias.
Ils étaient d’abord fabriqués en Chine, principalement à Canton, par des brodeuses spécialisées. Les premiers modèles étaient brodés avec des dragons, des pivoines, et d'autres motifs traditionnels chinois. Spécifiquement produits pour l’exportation, ces châles étaient destinés aux marchés coloniaux espagnols. La marchandise transitait par voies navales et terrestres, traversant le Pacifique puis l'Atlantique, avant d'arriver en Espagne. Ce réseau de commerce a fonctionné entre le XVIe et le début du XIXe siècle.
Avec le temps, les motifs brodés se sont adaptés aux goûts espagnols. Les fleurs réalistes telles que les roses et les œillets, mais aussi, les paons et les compositions symétriques ont remplacé les symboles asiatiques. À partir du XIXe siècle, une partie de la production a été localisée en Espagne, notamment la finition : les longues franges nouées à la main, appelées enrejado de flecos, étaient réalisées par des artisanes andalouses. Le mantón est alors devenu un accessoire de mode, puis un symbole culturel fort, porté dans le flamenco, les processions religieuses et les fêtes traditionnelles andalouses.
Habituées aux compositions linéaires, les artisanes ont appris à le nouer bande par bande pour créer une surface assez grande et devenir un vêtement. Elles ont développé une technique de nouage circulaire afin de répondre aux contraintes de formes du vêtements et de l’accessoire. Le chapeau, première pièce conçue selon cette méthode, incarne ce basculement de l’ornement au volume.
Chaque pièce est née d’un dialogue créatif entre Caroline et les artisanes. Les artisanes ont choisi les nœuds, les motifs, leurs histoires. Chaque motif est codifié : il signifie, il raconte. Caroline apporte les patronages, une gamme de couleur et propose un motif rayé. Ensemble, elles retravaillent le design des pièces pour qu’elles s’adaptent à la fois à la technique et aux attentes de forme des vêtements.
Réalisé à la main, l’enjerado borde les châles de Manille, prolongeant le tissu de nœuds et de franges en fils de soie. Une fois coulés sur le tissu, les fils de soie sont noués, entrelacés et traversés de diverses manières afin de former plusieurs dessins, des grilles, des fleurs et des motifs géométriques. La tradition centenaire de Cantillana se constate par le vaste répertoire de nœuds. Chacun d’entre eux porte un nom et une signification, le jazmín (jasmin), piña (ananas), alegría (joie), corbata (cravate) ou encore l’almendrón (amande), donnant une indication sur la taille, le style, et l’assemblage de fils réalisé. Le nouage fait appel à l’usage des mains. Seulement un petit crochet, rarement utilisé, aide le passage de chaque fil noué. Cette technique d'embellissement se finit par des franges plus ou moins longues. Les danseur.euse.s de flamenco en jouent, rythmant leur mouvement par les claquement des franges entre elles et contre leur corps.
Pendant deux semaines, les femmes ont réalisé les pièces. Les patronages sont d’abord envoyés à l’atelier de Nuria au centre du village. De là, ils sont distribués aux unes et aux autres. Les va-et-vient entre l’atelier et les maisons des femmes ponctuent cette semaine. Lorsque chaque partie est réalisée, elle est récupérée à l’atelier de Nuria pour le travail d’assemblage. C’est la première fois qu’elles font face à une nouvelle contrainte technique : comment lier ces rangées de nœuds ? Le geste ancien s’est déplacé sur de nouveaux territoires, gagnant en liberté.
Cette édition a été possible grâce au soutien de Fonds de Dotation Compagnon et Sessùn.
Le Fonds de Dotation Compagnon soutient financièrement les créateurs, chercheurs et professionnels de la mode et de la culture à travers des projets d’intérêt général. Le site du fonds de dotation sert à la fois de vitrine pour ses actions et d’espace de réflexion sur la mode et son actualité, mettant en avant une perspective franco-méditerranéenne qui lui est propre.
Sessùn est une marque de mode qui allie créativité et engagement. Fondée sur des valeurs d'authenticité et de durabilité, Sessùn s'efforce de promouvoir des pratiques éthiques tout en créant des collections inspirées par des influences artistiques et culturelles. La marque s'engage à soutenir des initiatives qui favorisent le savoir-faire artisanal et la production responsable, contribuant ainsi à un secteur de la mode plus conscient et respectueux de l'environnement.
Nous souhaitons adresser nos remerciements les plus chaleureux à Nuria Chaparro, dont l'expertise et l'engagement ont été déterminants pour la réalisation de ce projet. Fondée depuis 2010, l’entreprise est dédiée à la production artisanale de châles brodés faisant vivre la culture flamenca. Grâce à son soutien, le processus s'est déroulé avec une grande fluidité, rendant cette collaboration d'autant plus enrichissante.
Un grand merci aux artisanes, Doroles Aparicio, Marie Carmen de la Hera Sole Barrios, Mari Conchi, Carmen Domingue, Asuncion Marroco, Amada Maya, Antonia Maya, Araceli Maya, Dolores Maya, Juana Maya, Consuelo Muñoz, Elisabeth Ortiz, Mari Tinoco et Mili Vega.
Nous tenons à remercier Louise Follain, photographe du shooting des pièces co-créées, ainsi qu'à la styliste Célia Moutawahib et à la modèle Nuria Del Valle de l’Agence Doble Erre - Sevilla. Un grand merci également aux marques Sisi Joia, Baserange, Such and Such, Simone Wild et Sessùn pour leur précieuse collaboration, ainsi qu'à Caroline Perdrix pour sa direction artistique. Votre contribution a été essentielle à la concrétisation de ce projet.
Merci à Caroline Perdrix et Esther Schultz pour la réalisation de photos et vidéos qui ont permis de documenter la semaine de production à Cantillana, merci à Camille Lemonnier pour son travail de montage sur le film et pour la recherche apportée à ce projet. Merci, Marie Abeille, pour ta précieuse contribution et pour avoir su capturer l'essence de nos échanges à travers la série de podcast de l’édition espagnole. Merci Alice Monguzzi pour ton investissement dès les prémices de cette édition. Et merci, Alara Villa pour ta recherche et ta découverte de l'enrejado.